L'Ayurvéda est avant tout la science de la longévité. Comme les autres parties des Védas, elle ne définit pas ce qui est bien ou mal, mais elle nous explique objectivement les effets d'une cause. A ce titre, on peut l'utiliser comme on l'entend, en fonction de nos objectifs. Mais traditionnellement l'Ayurvéda s'inscrit dans un contexte spirituel. Elle est un outil de connaissance de Soi et de recherche de libération de soi. Alors si on l'utilise dans ce sens là, il est une loi importante à observer : l'élévation n'est possible que par l'ancrage, sans ancre on s'envole et on se perd.
Les pratiquants du yoga connaissent bien ce principe. Les postures sont équilibrées à condition de pousser le sacrum vers le bas et de tirer l'occiput vers le haut. Cet étirement donne à la fois de la stabilité pour maintenir la posture et de l'espace pour respirer profondément. Il y a là une grande sagesse. Si nous nous contentons de pousser vers le bas, on s'avachit et on n'a plus la place d'inspirer ; si nous tirons seulement vers le haut, on perd l'équilibre et on tombe. Comme un arbre, la qualité de notre élévation dépend de la force de nos racines.
Il y a ces trois principes de base (mahagunas) qui sont sattva, rajas et tamas. Rajas et tamas sont les doshas du mental, c'est à dire ce qui a tendance à déséquilibrer le mental. Il représentent respectivement l'agitation et l'inertie. Sattva, en revanche, est un des noms du mental, ce qui le défini à l'état pur. Sattva c'est aussi la paix, l'harmonie. C'est ce que nous recherchons dans une pratique spirituelle védique.
Les trois mahagunas sont essentiels, c'est l'ensemble des trois qui permet l'éternité comme décrit dans la Bhagavad-gita. C'est grâce à tamas, l'inertie, que l'on peut se reposer pour se régénérer. C'est grâce à rajas, l'agitation, qu'on est actif et mène l'expérience. Ce qu'on recherche donc ce n'est pas seulement sattva en soi mais l'équilibre des trois. Comme les trois Grâces de l'Antiquité; c'est l'ensemble qui exprime la vie dans sa plénitude.
En revanche, l'excès de l'un ou de l'autre crée des déséquilibres, voire des troubles. Et il est fréquent que, dans une recherche spirituelle très active, on tombe dans ces excès. L'excès de tamas se manifeste parfois quand la pratique néglige le corps. Et ce qu'on observe très souvent, c'est un sournoi excès de rajas : sous prétexte d'élévation spirituelle, on s'agite dans une recherche permanente de sensations, d'expériences, toujours plus intenses, toujours plus haut, toujours plus vite. Et là on s'éloigne de notre vision initiale qui était la paix et l'harmonie.
On peut faire le choix délibéré de rechercher les expériences, voire même les pouvoirs spirituels (les siddhis). Mais il faut savoir que c'est une voie périlleuse et elle est déconseillée par les grands maîtres parce qu'elle éloigne de l'objectif de libération, d'union. Surtout, d'un point de vue ayurvédique strict, c'est un chemin escarpé sur lequel nous recueillons beaucoup de blessés. Du simple excès de vata dû aux pratiques de méditations actives qui sont éreintantes pour le système nerveux, et jusqu'aux troubles psychiatriques provoqués par la stimulation non-maîtrisée de la kundalini.
Prenons l'exemple commun des méditations de type "mindfulness". Cette pratique est décrite par sa propre école comme une méthode d'entraînement du mental. C'est un travail, une activité, un effort. Cela requiert que pendant votre temps de méditation votre cortex préfrontal, votre intellect, soit actif. C'est à dire que vous dépensez durant la pratique l'énergie de votre système nerveux. D'un point de vue ayurvédique c'est totalement contre-productif comme méthode. Les Védas eux nous expliquent que c'est par le lâcher-prise, par le détachement, et sans effort que nous voulons méditer ; car c'est seulement quand nous prenons de la distance avec notre intellect que notre cerveau se régénère, comme quand on dort par exemple. Parce que l'objectif de la méditation védique est de gagner de l'énergie, du prana, pour augmenter notre capacité à voir les choses comme elles sont, notre capacité à les digérer et aussi notre longévité.
Il existe des techniques yogiques très puissantes qui sont particulièrement attractives parce qu'elles offrent une expérience rapide d'une dimension inhabituelle. Mais il ne faut pas oublier que si ces techniques sont aujourd'hui disponibles à la Fnac ou sur Youtube, elles étaient à l'origine réservées à des ascètes qui avaient dédié leur existence à la maîtrise de soi, à la maîtrise du prana et des doshas. Ces hommes qui après des dizaines d'années d'apprentissage auprès d'un maître avaient accès à ce savoir vivaient isolés dans un contexte particulier. Aujourd'hui on fait un stage d'éveil de kundalini entre deux avions ou deux métros. C'est éreintant pour notre système qui n'est pas préparé et pas dans le contexte approprié.
Nous devons faire preuve d'humilité dans le cheminement spirituel et de prudence face au consumérisme du marché du développement personnel. Si l'on écoute les enseignements des grands maîtres de notre temps, tous prêchent la simplicité et la joie. Ils nous disent que ce que nous cherchons est en nous. Ils nous disent que c'est par le lâcher-prise qu'on l'atteint, pas par le désir et la stimulation.
Une pratique régulière est un grand atout pour l'optimisation de la santé physique et mentale, à condition de n'être pas un effort de plus, un challenge, une compétition, un stress de plus !
Soyez reconnaissants pour votre existence même et ce que vous avez reçu. Cela vous apportera des flots de prospérité et de bonheur. - Sri Sri Ravi Shankar
Namastê
Excellent article en tant qu'enseignante de Yoga traditionnel formée en Inde je partage votre point de vue. En effet le yoga est une voie qui nécessite de se faire accompagner correctement afin de garder l'essence des pratiques qui découlent des védas. Or, je constate aussi que le phénomène des nouvelles pratiques type yoga fitness, power yoga, bikram yoga etc.. dans notre époque de Kali Yoga ceci va à l'encontre des textes anciens. Par ailleurs ceci est aussi applicable pour la médecine ayurvédique . Je constate trop souvent une dénaturation des propos écrits dans les textes anciens. Cette une science qui existe depuis plus de 5000 ans et lorsque aujourd'hui j'entends des praticiens ayurvédique conseiller des jus de fruit et smooth…
Merci beaucoup pour cet article trés intéressant ! Je n'avais pas vu la mindfullness comme ça et c'est vrai que ca l'ai . On peut juste s' essayer à la méditation par ce biais et puis prendre le chemin des vedas par la suite aussi . C'est ce que j'ai fait en tous les cas . Merci aussi pour ce rappel de recherche d'équilibre des 3 gunas et non pas que de la recherche de sattva !!
Wahou article super intéressant qui met bien en avant l’engouement actuel pour toutes ces pratiques de méditation et de yoga qui sont souvent très éloignées du sens initial .
dans notre société du « tout vite et immédiatement » il est bon de rappeler les vertus de l’apprentissage et de l’Équilibre .